Féministe ou pro-féministe ?

« Et toi Romain ? T’en penses quoi de tout ça ? » J’émerge brusquement de mon microrêve. Une divagation mentale dans l’océan de mirabelles qui s’est glissé dans mon œsophage quelques secondes plus tôt pour rejoindre la fameuse truffade de Greg. « Hum ? » grommelé-je encore dans les brouillards. « Un homme, il peut être féministe ou est-ce qu’il est juste pro-féministe ? ».

Dans un monde idéal où je pourrais décider de toute chose, j’aurais tout fait pour que le débat n’ait pas lieu à ce moment de la soirée. Mais comme on n’en est pas à ce stade-là de l’histoire, ça viendra ne vous en faites pas, contraint et forcé, j’ai accepté de jouer le jeu. Ce fut aux dépens de toutes les cellules de mon corps qui me criaient de parler de tout sauf d’un truc sérieux. J’sais pas pour vous, mais mon expérience m’a montré qu’on ne choisit jamais quand on parle de féminisme. Puis si on a pas parlé métaphysique avec trois grammes à 20 ans c’est qu’on a raté sa vie, donc pas d’occasion manquée.

Alors les hommes, féministes ou pro-féministes ?

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Les hommes sont… surtout des hommes

Cette question ne vient pas de nulle part. Les hommes dans le mouvement féministe, ça pose nécessairement la question des rapports femmes-hommes dans le mouvement féministe. Le rapport est d’ailleurs bien plus complexe que la présence de bourgeois dans le mouvement ouvrier, car où que les femmes soient dans la société, il y a des hommes.

Je, tu, ou il, bref, nous sommes des hommes. C’est une donnée biologique, de naissance ou pas. Mais c’est surtout une donnée culturelle, car nous sommes élevés, et structurés culturellement comme des hommes. Cela ne veut pas dire que nous sommes tous des bourrins, violents, violeurs et docteurs en mathématique, mais simplement, mais qu’il y a une certaine prédétermination à ce qu’on épouse ce genre de comportement. Bref, comme un ADN culturel, enfoui au fond de notre crâne : nous sommes des dominants.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on le veuille ou non, et malgré les efforts que l’on peut faire dans différents domaines à ce niveau, les hommes sont toujours des relais de la domination masculine. Relais plus ou moins efficaces en fonction du travail qu’ils ont fait sur leur encadrement culturel. L’implication des hommes dans le mouvement féministe se questionne donc s’ils y répercutent leur attitude de dominant : confiscation de la parole, intimidation, course à des positions de pouvoir, etc.

Le terme de pro-féministe sert alors à marquer une limite, comme une frontière symbolique pour protéger le mouvement féministe de cette tendance. Les temps non-mixtes, qui peuvent et doivent exister dans toutes les organisations progressistes, sont aussi un moyen de sacraliser un temps où cette domination ne sera pas présente.

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Le féminisme dans une société patriarcale

Le féminisme se développe dans et contre une société patriarcale. Contre, car c’est son identité, défendre l’égalité, face à la domination masculine qui s’applique à l’ensemble des champs sociaux de notre société et son bagage culturel accompagné. Dans, car il utilise nécessairement les outils culturels à sa disposition pour avoir un impact dans la société.

Dans ces outils, figurent en bonne place les médias. Personne ne peut prétendre véhiculer un message de masse sans les médias. On s’aperçoit d’ailleurs rapidement que loin d’être une sorte de miroir de la société, même déformant, les médias sont une arène de bataille des idées. Une arène qui n’est pas neutre, car dirigée par des hommes.

Soyons parfaitement honnêtes, ce qu’adorent faire les hommes, c’est parler des hommes. Un certain nombrilisme dont j’ai déjà parlé et qui rend la tâche des organisations féministes assez complexe. Quand on parle de féminisme à un homme, il parle quand même des hommes (si si !) : des hommes violés, victimes de violences, prostitués, ou victimes d’un déterminisme culturel qui les oblige à être dominants (pleurons sur leur triste sort). Tous les moyens sont bons tant qu’il s’agit de ne pas parler des principales victimes : les femmes.

Qu’on le veuille ou non, les hommes engagés dans le mouvement féministe font l’objet d’une attention redoublée. Dans un rassemblement féministe, les interviews ou les images d’hommes, quand ils sont présents, sont disproportionnées par rapport à leur présence. Sans caricature, l’homme isolé au milieu d’un groupe de femmes devient le centre de l’attention médiatique, ce qui lui donne de facto une position de pouvoir.

Bref, encore une fois, la frontière que tracent les concepts de pro-féministe et féministe peut aussi être une manière de protéger le mouvement féministe de la société patriarcale qui veut l’interpréter et la représenter.

2Le féminisme est-il un gros mot ?

Seulement voilà, le féminisme, c’est aussi un gros mot dont la société patriarcale aimerait bien se débarrasser. Faut dire que, franchement, y a pas « homme » dedans donc ça fait un peu flipper ces messieurs.

Et ce travaille de dénigrement du féminisme, bah il marche furieusement bien :

  • « Je suis pas féministe, mais… » : phrase régulièrement prononcée par une personne qui est sur le point de dénoncer une injustice tout en refusant d’être associée avec celles qui, collectivement, la combattent.
  • « Non je suis pas féministe, je suis pour l’égalité… » : phrase régulièrement prononcée par une personne dont les représentations du féminisme ont été structurées par la société patriarcale qui adoooore les décrire en coupeuses de couilles.
  • Etc. (il y en a plein)

Les prises de distance permettent à la société patriarcale d’isoler et de stigmatiser le féminisme. Quand une personne dit « je suis féministe » elle se place dans une posture de solidarité totale, et de partage sans réticence de son combat. Est-ce que se mettre à distance ne joue pas aussi le jeu de nos ennemis ?

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Être un homme féministe ?

Pour le moment, je me définis comme féministe, car les militantes du mouvement féministe que je connais me définissent comme tel. Je ne m’accorde pas la légitimité de pouvoir contester si elles en décidaient autrement, ou si ça changeait par la suite.

Qu’on soit pro-féministe ou féministe, l’important est de rester à sa place dans le mouvement féministe en tant qu’homme. Travailler à refréner ses attitudes de domination, ne pas chercher les postes à responsabilité, mais plutôt épouser au mieux la place que collectivement on te donne.

Être féministe, c’est une théorie et une pratique. C’est avoir conscience de tout ou partie du système de domination, et agir contre lui. Quand on est un homme, on ajoute également prendre conscience de tout ou partie de la domination que l’on exerce nous-même, et agir contre cette domination. Et c’est déjà une montagne à déplacer…

Romain JAMMES

 

 

 

9 réflexions sur “Féministe ou pro-féministe ?

  1. « Qu’on soit pro-féministe ou féministe, l’important est de rester à sa place dans le mouvement féministe en tant qu’homme. Travailler à refréner ses attitudes de domination, ne pas chercher les postes à responsabilité, mais plutôt épouser au mieux la place que collectivement on te donne. »

    Voilà qui est bien parlé ! C’est ce que j’essaie de faire comprendre à la plupart de mes copains qui se disent féministes en théorie mais qui sont soudain bien cons quand on leur parle de viol ou de harcèlement de rue. Merci pour cet article.

  2. Historiquement parlant, jusqu’à la fin des années 1960 il était tout à fait commun d’appeler un homme féministe car à l’époque les femmes s’appuyaient volontiers sur des hommes au pouvoir pour faire passer des lois qui allaient en leur sens. Ce n’est qu’avec la Deuxième vague du féminisme concomitant avec les mobilisations de Mai 68 que la pratique des mouvements autonomes et auto-organisés à commencé à s’imposer, excluant de facto les hommes du féminisme.
    C’est donc une idéologie politique bien précise et assez récente qui affirme que seule une femme peut être féministe, la même qui affirme que seuls les ouvriers peuvent s’émanciper du capitalisme et seuls les colonisés peuvent se libérer du colonialisme. Autrement dit que l’émancipation n’est possible, légitime et valorisée que si elle est opérée par les premiers concernés.

    A un moment donné il faudrait apprendre à distinguer le groupe politique du groupe identitaire. Car on peut vouloir la fin du capitalisme, du patriarcat et du colonialisme même si on n’est pas soi-même prolo, femme ou racisé. Etre femme et être féministe ce sont deux choses bien différentes, et tout comme beaucoup de femmes ne sont pas féministes il n’y a pas de mal à ce qu’il y ait des féministes qui ne sont pas des femmes. D’ailleurs on accepte volontiers dans le féminisme des individus qui ne sont pas des femmes au sens biologique (par ex. des trans) et qui amènent souvent avec eux beaucoup de caractères des hommes, pourquoi pas alors des hommes qui souhaitent vraiment l’émancipation des femmes ? Ou alors il faut impérativement changer de sexe pour disposer du droit de s’intéresser au féminisme ?

    • Merci d ‘ essayer de décortiquer –

      je te livre à ce sujet quelques éléments de mon frêle cerveau , de mon fier vivant –

      – On pourrait demander : QUI est féministe ??

      D ‘ aucuns ne seront JAMAIS féministes –

      – On peut être homme et être féministe . ; Féminisme ne veut pas dire n ‘ être QUE pour les femmes

      . Cela veut dire se battre contre certaines conceptions au sujet des femmes , se battre pour une autre façon que nous avons d ‘ être ensemble .

      Si je suis féministe , ce n ‘ est pas une fin ultime – C ‘ est un combat nécessaire , indispensable , c ‘ est tout – La fin , c ‘ est la mixité , l ‘ échange si merveilleux où j ‘ aime autant les femmes que j ‘ aime les hommes ( pas de la m^me manière ) , avec tout le respect et désir du bonheur de l ‘ autre , de son épanouissement et de sa liberté – Il faut que l ‘ autre soit heureux , heureuse –

      Mais qui est pour cette vie ensemble , respectueuse et riche d ‘ amour ???

      Personnellement je suis convaincu ( je dévelloperai une autre fois ) que beaucoup d ‘ hommes ( la majorité ? ) , mais aussi de femmes ( si , si , / je dévelloperai une autre fois ) ne veulent pas de ces relations femmes/hommes que nous vivons – que le modèle homme-femme , en cours dans la société et culture dominantes actuellement leur convient tout à fait .( il en va de m^me pour les déboires actuelles des-dites  » démocraties » / j ‘ appelle de mes voeux un  » Nouveau Parti Communiste  » ) .

      En fin , je m ‘ insurge contre ce petit passagede ton texte où tu dis  » Bref, comme un ADN culturel, enfoui au fond de notre crâne : nous sommes des dominants.  » : NON !

      Que l ‘ homme ait une position plus  » guerrière  » que la femme ( tel le mâle allant chasser pour la femelle en gestation dans le nid ) , qu ‘ il ait un sentiment particulier à pénétrer quand elle et il font l ‘ amour , ceci n ‘ implique pas nécessairement un sentiment de domination – que beaucoup/e vénèrent , je crois – . Qu ‘ on ait seulement le bonheur de savoir le désir féminin – ( qu ‘ on se ressource un peu auprès des merveilleuses danses d ‘ amour des grues d ‘ Hokaïdo )

      Voilà ,
      bien amicalement –

  3. merci pour cet article. Nous sommes confronté-e-s dans le mouvement féministe à des vagues de « mansplaining » d’une part, et à des vagues de « incluons les sujets d’égalité qui concernent les hommes pour les intéresser au sujet ». Ainsi on remet ouvertement en question la possibilité de groupes non mixtes, et j’ai le sentiment que le loup est en train de se glisser dans la bergerie. Alors votre article, qui pour résumer se borne à dire « occupons la place qui nous est donnée (dans le féminisme)  » et « prenons conscience de notre place de dominant (dans nos relations aux femmes) » est particulièrement rassurant. J’espère que vous pourrez convaincre beaucoup de votre point de vue. Le commentaire ci dessus de hell looks m’interpelle aussi. Récement j’ai eu maille à partir avec un homme qui disait se sentir femme et donc vouloir être inclus dans un groupe non mixte. Le choc que j’ai ressenti, une espèce de sentiment de piège, je ne pouvais pas bien l’expliquer pendant longtemps. Pour finir, moi qui ai lutté toute ma vie pour être une personne (au sens d’Ursula Le Guin), et pouvoir ne pas être définie par cette étiquette de « femme », je ne pouvais supporter l’idée qu’une autre veuille volontairement se coller sur le front la marque de l’esclavage.

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  6. Bonjour,

    Je suis tombé sur ce billet de blog très intéressant sur la différence : féministe – pro-féministe. Sujet qui à l’air d’être très très sensible vu les pincettes employées par l’auteur.

    Un jour, je croise une affiche de manifestation « 100% féminine sans homme ». Ma première réaction a été : pourquoi pas, mais c’est pas comme si le combat était gagné d’avance et qu’on pouvait se passer de 50% de la population.

    Pas facile de comprendre tout ça. Encore plus si une personne est complètement insensible au sujet.

    H

  7. J’ai eu quelques débat assez chauds sur le fait d’être homme féministe. J’en ai tiré quelques conclusions :
    La première. Si je veux apporter mon soutient – en tant qu’homme – au mouvement, il vaut mieux le faire discrètement, ou de façon à ce que les idées soient plus fortes que la visibilité de mes couilles en signature.
    La seconde, c’est que dans un autre contexte – la ségrégation noire par exemple – si Martin Luther King ou Malcolm X avaient été blancs, le discours, même inchangé, aurait totalement perdu sa valeur.

    Peut-on être homme et féministe? Je répondrais OUI. Mais il faut rester humble, et s’effacer au profit des idées. On ne sera jamais bien placés pour en parler en notre nom.

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