Ce mythe, tout le monde le connaît. La migraine, la fatigue, on se lève tôt le matin, on a la flemme, il fait trop chaud, trop froid, trop moyen… Bref, dans un couple, parfois, bah on n’a pas trop envie de faire l’amour. Ça arrive, ça peut ne pas paraître grave avec du recul.
Seulement voilà, dans une société patriarcale, nous, les mecs, on a envie donc on doit être satisfait. C’est comme ça, c’est la domination masculine. Alors comme il faut bien convaincre notre partenaire de passer au billot (avec des formes franchement moyennes parfois), on invente une culture de soumission volontaire. Alors Elle, grand magazine progressiste, s’est donc essayé à l’exercice. Un article, Faut-il se forcer à faire l’amour ?, qui est un exemple du genre. Et oui, ils sont bons élèves chez Elle !
Un curieux déséquilibre
Elle annonce tout de suite la couleur. On va vous parler de femmes. Oui parce que, je sais pas si vous étiez au courant, mais en fait le plaisir, pour Elle, c’est surtout un truc d’homme. Donc forcément, avoir envie de sexe c’est un truc masculin. Rassurez-vous, on n’en est pas au premier. On a toujours convaincu les hommes qu’ils avaient des besoins irrépressibles et qu’il fallait qu’ils les assouvissent. D’un autre côté, on a toujours pris soin de ne pas apprendre aux femmes l’étendue du plaisir qu’elles pouvaient avoir. On s’est même entêté jusqu’à leur ôter le clitoris, c’est vous dire si on est con.
Bref, cette construction culturelle a plusieurs conséquences. On retrouve l’idée selon laquelle les femmes vont faire une faveur en couchant avec un homme. On a le droit à des variantes comme les femmes qui couchent par intérêt pour que leur cher et tendre répare l’étagère du salon. Plus dur, il y a l’idée que c’est un devoir (« Après tout, on est mariés merde ! »). Ou son corollaire : « Pour le maintien de mon couple, il faut bien que je me force un peu… »
Seulement, entre le « pour mon couple », « pour lui faire plaisir », « parce que c’est un devoir » et « pour pas qu’il me foute sur la gueule » y a parfois des nuances assez floues.
La culture normative
Alors l’article analyse un peu ce phénomène. Enfin, ce sont surtout des hommes scientifiques qui interrogent des témoignages de femmes. Histoire de rien faire de travers. Pour couronner le tout, on a le droit à des psychologues-psychanalystes. De là à dire qu’on fait l’amour parce qu’on a envie de manger son caca il n’y a qu’un pas. Du coup, ce qui est sympa, c’est qu’on y apprend plein de choses très utiles :
- Entre toutes les raisons pour se forcer, la moins grave, c’est « par amour ». Comme étude scientifique on a fait mieux. Une bonne petite pilule par amour ça passe tout de suite mieux hein. C’est un élément normatif qui n’a souvent pas d’autre rôle. Et il ne marche souvent que dans un sens : « Il m’a tapé dessus mais c’est parce qu’il m’aime ! » Oh c’est mignon…
- « Dire non très clairement peut souvent dégénérer en une dispute », « C’est une manière de ne pas vexer mon fiancé ». On sort bien du cadre du plaisir ou de l’amour, c’est clairement pour ne pas subir une forme de répression même si l’article l’aborde de manière anodine. On lit même que c’est « pour ne pas blesser son partenaire plus que par abnégation » hum… C’est quoi la différence ?
- « Si j’ai parfois la flemme de m’y mettre, je ne regrette jamais après », « L’appétit vient en mangeant ». Traduction pour les hommes : Ne vous en faites pas, si elles disent NON au début, ce sera OUI après. Traduction pour les femmes : allez quoi, ça fait mal au début, après ça va mieux !
- Si ce sujet est « tabou » c’est que nous sommes dans « une société qui érige la libido en valeur maîtresse » dans le couple. Marrant comme l’article réduit la portée d’une pratique qui a plusieurs siècles (voire millénaires).
- « La femme ne se refuse pas mais dit à son mari : “Dépêche-toi, qu’on en finisse”, ce qui est encore plus violent que de dire non. » D’après l’article, c’est le refus qui est violent, pas la fatalité de la femme qui est forcée. Entre nous, quand on sait qu’on va être torturée, on veut que ce soit le plus court possible.
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Je suis pas en train de dire que l’article fait consciemment l’apologie du viol. Le phénomène est en recul et pris isolement n’est pas si grave. Moi qui ne subis pas la domination masculine et les injonctions qui l’accompagnent, qui ne suis pas pornographié au quotidien et réduit à mon physique comme un outil pour baiser, il m’est arrivé de me forcer sans traumatisme psychologique. Mais prendre uniquement le cas de femmes, sans préciser pourquoi et en décontextualisant, c’est trop gros pour ne pas être une grossière manipulation.
Bref, un article très joyeux qui se conclut sur deux notes qui encensent tout le message. Il faut fermer sa gueule comme dit Lucie : « Mon mot d’ordre ? N’avoue jamais ! Pour préserver un peu de magie, il faut bien garder une part de mystère et d’intime, non ? » et le mot de la fin pour Docteur Nasio : « C’est un acte de maturité ». Vous kiffez ?