J’vous ai pas raconté, je viens de déménager. Oh, pas loin, jusque quelques centaines de mètres. Nouveau quartier, nouvelle vie et… nouveaux voisins. Voisins tout court peut-être car au fond, rue Pargaminière, la rue fait tellement de bruit qu’on a l’impression d’avoir la moitié de Toulouse-ivre sous les fenêtres.
Bref, tout ça pour dire que la donne a changé, et profitant de mon nouvel appart, j’ai organisé un petit (mais pour le coup vraiment gentillet) apéro. Sauf que voilà… Les voisins ont gueulé. Mais c’est pas genre gueuler « Eussiez-vous la gentillesse de baisser le son afin que je puisse dormir un peu ? ». C’est plutôt genre cris d’animal désespéré, éructations étranges où l’on croit discerner un « Silence » ou un « Merde ». Des réactions qu’on aurait comprises avec de la hard-teck à faire trembler les murs jusqu’à 5h du mat et au bout de 3 ou 4 avertissements.
Mais là, ça frise la névrose sociale. On a testé pour vous : avoir des voisins.
Avoir des voisins
C’est marrant la ville. Enfin, je veux dire, avec du recul on se dit : c’est dingue tous ces gens qui s’agglutinent pour habiter pile au même endroit. Bon y a des côtés agréables, c’est la collectivité, l’échange, les milliers d’activités culturelles, le boulot (au passage) etc… Mais bon faut se faire à l’idée, quand on vit en ville, et particulièrement au centre-ville, on n’est pas tout seuls. J’veux dire, même chez soi, quand on rentre on ne se téléporte pas en Ariège… donc il arrive parfois que y ait un peu de bruit.
Alors avoir des voisins c’est aussi une forme de collectivité rapprochée. On partage un bâtiment, parfois des espaces communs, une façade, un trottoir, une cage d’escalier. Même quand on a passé la porte de chez soi, le monde qui est autour des 4 murs qui nous servent d’appart existe toujours. Avoir des voisins, c’est aussi accepter l’interaction, il n’y a pas de droit individuel au silence qui éclaterait la collectivité immédiate du voisinage.
Et pourtant, combien d’entre-nous ne connaissent leurs voisins que quand ils se plaignent ? Est-ce que la suspicion, le rejet et la défiance n’est pas devenu le nouveau mode de voisinage. Comme si chaque appart était un pays en état de siège prêt à bombarder celui d’à côté. Comment on passe de la fête des voisins à « voisin vigilant ? ».
Une ville névrosée
Le rejet de la moindre interaction est devenu une névrose collective. D’ailleurs les villes se calquent sur ce modèle typiquement libéral. Libéral pourquoi ? (j’ouvre une parenthèse intello) Parce que du point de vue libéral, l’indépendance de chaque citoyen, ses droits individuels, passent non par une accumulation de liens sociaux qui effacerait la dépendance à chacun d’eux, mais par la coupure de ces liens faisant de l’être humain une personne seule (ou une famille) et donc indépendante. Sauf que voilà, les droits individuels ne sont garantis que par les droits collectifs qui se construisent, se développent et se défendent en collectivité. Et la coupure des liens sociaux vous rend notamment plus dépendants aux liens que vous ne pouvez pas couper : notamment le marché et l’État. (fin de la parenthèse intello).
Bref, ce modèle structure la construction de villes névrosées anti-liens-sociaux. Comme des villes éclatées mais concentrées. La résidentialisation est un exemple parfait. Elle cumule tous les aspects de l’individualisation et du cloisonnement des espaces. Privatisation d’un quartier entouré de barrières. Passages avec 2 ou 3 codes pour finir à une porte blindée. Il y a parfois même des caméras intérieures qu’on peut visionner via la télévision. On est à deux doigts des miradors. Il n’y a plus de vie de quartier, il n’y a souvent même plus de commerces, sinon un super marché qui traîne à quelques centaines de mètres.
Finalement la ville ce n’est plus un immense espace collectif, ça devient des boulevards et une juxtaposition d’espaces privés, et dans les espaces privés, de bulles de silences indépendantes du monde autour. Un modèle à l’œuvre aussi dans beaucoup d’espaces publics. On prend son métro avec ses écouteurs, son bouquin, ou pire, on prend sa voiture individuel etc… La collectivité se délite et l’individu se referme sur lui même. Au lieu de construire le collectif et d’être acteur de sa ville, il est consommateur et destructeur. Comme avec la planète.
Construisons autre chose
Bref il est temps de construire autre chose, de redonner vie aux villes. Il faut en finir avec le cloisonnement des espaces : zones dortoirs, zones industrielles, quartiers d’affaire, centre commerciaux, zones où y a quelques bars mais surtout jusqu’à pas tard !! Arrêter le triptyque camions de la BAC + Caméras + délation. Comme si la ville n’était que la concentration de la peur des autres.
Il faut ouvrir les espaces publics de la ville, en faire des lieux d’échange entre voisins. Il faut encourager le partage dans l’habitat : des salles communes, équipements communs etc… La création culturelle doit irriguer les quartiers plus que les zéniths, l’économie sociale et solidaire reformer le lien écrasé par le marché froid et mordant de la consommation bête et méchante.
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Au fond, mes voisins y sont pour rien, ils sont le produit d’une culture dominante. Sans chercher à les empêcher de dormir, je me laisserais pas empêcher de vivre. En espérant faire œuvre d’un peu d’éducation populaire en les invitant à partager le prochain verre sur ma terrasse.
On a testé pour vous : la ville.
Romain JAMMES