Archive : Pourquoi je fraude les transports…

Après plusieurs discussions avec des amis nous avons pris l’initiative d’écrire ensemble cet article. Aujourd’hui, pour une grande part des jeunes, la fraude des transports publics est devenue un acte banal. Il l’est à ce point que nous n’en sommes plus à ne pas nous offusquer d’un tel acte mais plutôt à s’étonner chaque fois que l’un d’entre nous est dans la légalité.

Nous pourrions avec la plus grande habileté en faire un geste militant. Affirmer que c’est parce que nous considérons que le transport public doit tendre à être gratuit que nous faisons de la résistance civique. Mais pour être tout à fait honnête, ce n’est pas le cas. À y penser plus sérieusement, frauder un service public nous fend le cœur à nous, militants de gauche, alors que nous sommes les premiers à vouloir le défendre. Il faut donc trouver autre-part la raison de notre geste.

Cette autre-part, elle n’est pas bien compliqué. Nous sommes jeunes, étudiant/salarié (à mi-temps) pour l’un, jeune précaire pour l’autre (également à mi-temps). Nous habitons non-loin de nos lieux de travail et d’étude et n’avons ni de voiture ni de permis. Et habitons en collocation à Corbeil-Essonnes. Cela plante le décor de l’état de nos revenus et explique certainement notre attitude. Car c’est bien pour des raisons économiques que nous ne voulons pas payer le train. De nombreuses rencontres, à travers nos études, nos emplois ou nos loisirs nous pousse à aller régulièrement vers Paris. C’est de plus en plus souvent le cas, d’autant que les activités manquent en lointaine banlieue, en semaine comme le week-end, pour des jeunes qui cherchent à s’amuser à moindre frai.

Actuellement, un billet de RER vers Paris nous coûte plus de 6€. Ce qui veut dire 12€ l’aller-retour. Une somme qui dépasse déjà le budget d’une soirée moyenne pour nous. Nous pourrions rester chez nous dans la légalité, uniquement voir nos connaissances locales. Nous pourrions venir les mains vides chez nos amis parisiens, sans bouteille à partager ou sans possibilité de prendre un verre au comptoir. Nous pourrions boycotter les nombreux concerts gratuits, les rassemblements festifs ou militants. Il n’est pas difficile de mesurer l’exclusion sociale regrettable que conduirait l’un de ces actes. Nous considérons comme un droit le fait de pouvoir circuler, s’épanouir et s’émanciper dans toutes ces activités.

Mais en toute considération cette situation ne peut plus durer. Voilà des années que plusieurs fois par semaine nous sommes des délinquants. Voilà des années que nous regardons derrière nous au moment d’enjamber les bornes. Des années à mentir aux contrôleurs, en leur donnant un faux nom, une fausse adresse : une humiliation pour des jeunes qui ne cherchent que la liberté.

Cette situation, nous la vivons comme des milliers de jeunes. Elle n’a pas de sens, la société ne doit plus être si hypocrite, elle ne doit plus cloisonner ainsi les espaces, rendre la mobilité difficile. Elle met en place toutes les conditions pour que chacun reste enfermé chez soi, ferme un à un les espaces de rencontre près de chez nous, en transformant nos villes en dortoirs, et en dressant des murs pour nous empêcher d’en sortir…

Une politique du transport doit donc pouvoir répondre à ce problème, soit en augmentant les salaires, soit en rendant les transports gratuits pour les plus modestes, et pourquoi pas pour tous. Ce n’est pas une question annexe, c’est un choix de société : permettre à tous de vaincre la barrière de la distance et l’enclavement de certains quartiers. C’est favoriser l’échange, l’éveil culturel et intellectuel et le lien social. Nous ne désespérons pas que cela arrive un jour chez nous…

Florian Yagoubi & Romain Jammes

11 réflexions sur “Archive : Pourquoi je fraude les transports…

  1. Pingback: On a testé pour vous : déménager à Toulouse ! « L'Art et La Manière

  2. Il est à mourir de rire ce blog.

    Un transport « gratuit » mon p’tit bonhomme, ça n’existe pas. Il y a toujours quelqu’un qui paye pour ta tronche de bobo. En l’occurrence ici, ce sont les gens qui se lèvent tôt le matin et qu’on appelle « travailleurs ». Bon, j’imagine que ce concept t’es étranger mais passons.
    Tu pourras en apprendre plus ici :
    http://en.wikipedia.org/wiki/There_ain%27t_no_such_thing_as_a_free_lunch

    « Ouioui mais on va faire payer les capitalistes toussa ! »

    Ces gens que tu sembles tant haïr (riches, rentiers, entrepreneurs ..) ont été jeunes et communistes comme toi. Puis ils ont compris que partager la misère, ça ne servait à rien. Au lieu de ponctionner la richesse des autres (comme tu sauras bien le faire toute ta vie, je n’en doutes pas*), ils ont décidé de créer la leur. En risquant de tout perdre.

    Prends le risque de créer une entreprise, tu verras.
    – Les gens te regarderont de travers : ‘toi t’exploite les travailleurs c’est ça ? »
    – L’Etat te taxera à pu’soif. (pour payer tes transports « gratuits »)
    – Tu ne pourras même pas te verser un salaire. Beh non un seul salaire au SMIC coute plus de 2000€ avec les charges.(pour tes transports « gratuits »)

    Soit tu réussiras, soit tu échoueras.

    Moi j’ai échoué. Et pour toute récompense, j’ai une dette in-rem-bour-sable. Pas d’indemnités, pas d’aides sociales, non. Juste le droit de payer des impôts rétro-actifs pour payer les transports gratuits de bouses comme toi.

    * je suppose ici que tu travailleras plus tard comme gratte-papier dans un ministère coûteux et inutile. Hypothèse qui a de trèèèèèèèès grandes chances de se vérifier quand on parcourt ce ramassis de conneries que tu appelles « blog ».

    • Il est absolument sidérant de lire un commentaire si peu nuancé, si aigri et si… banal.

      L’article a au moins le mérite de pointer un fait : les jeunes fraudent dans les transports pour ne pas se retrouver dans le rouge à la fin du mois parce qu’on a voulu se rendre dans la capitale.

      Habiter à Paris coûte cher.
      Cela pose le décors : ceux qui n’y habitent pas ont logiquement statistiquement moins de moyens que quelqu’un qui réside directement dans la capitale, à moins de résider à Neuilly. Imaginons maintenant que l’on parle d’un jeune étudiant. Si déjà il ne travaille pas pour aider ses parents à financer ses études, il a de la chance. Le fait qu’il ait pu faire des études aussi fait de lui un chanceux. Mais vous trouvez cela normal de lui ajouter un obstacle supplémentaire ? Ne pas lui accorder la possibilité de se rendre sur son lieu d’études à moindre frais comme la plupart de ses camarades (oui la plupart des universités se trouvent à Paris). Vous trouvez cela normal que certains aient la chance de ne pas avoir à se soucier du financement de leur études et puissent se socialiser, se cultiver sans avoir à payer une « taxe de transport », un « impôt de banlieusard », tout cela sans qu’on fasse quelque chose pour rééquilibrer cette infortune ?

      Je ne prétend pas avoir la solution. Je ne suis pas partisane. Mais je suis particulièrement choquée par un commentaire qui se pense autant dans le juste sous prétexte que vous auriez vu la vie. Oui créer un entreprise c’est dur, oui trouver du travail aujourd’hui quand on a moins de trente ans c’est dur. Donc voici une autre vérité plate : aujourd’hui et ce depuis une trentaine d’année (plus pour les plus pessimistes) nous sommes en crise. Est-ce que ça nous empêche de rêver, de réfléchir, de proposer des solutions, ou tout simplement de critiquer intelligemment ? Non.

      En attendant ce blog n’est pas un « ramassis de connerie », j’apprécie particulièrement les articles sur le féminisme, et je trouve qu’un avis différent du mien est toujours bon à prendre. Bienvenu dans la démocratie monsieur/madame le/la chômeur/se surendetté/e et rageur/se (oups, pardon celui-ci était gratuit) qui après avoir perdu son entreprise est devenu/e un/e expert/e de la vie, en urbanisme, du marché du travail, des finances publiques et prophète (ça doit être sympa à relater sur un CV tout ça).

      En tout cas Romain Jammes, même si je ne suis pas toujours d’accord avec tes solutions, je partagent souvent tes observations, et j’apprécie ton blog, je pense qu’il a largement contribué à convaincre mon copain qu’être féministe en étant un mec c’est possible et c’est même super ! Bref il me fallait une conclusion, et je ne trouvais pas alors je raconte ma vie. 🙂

  3. Pas mal du tout… Et ignorez les commentaires à la « le Corre » ci-dessus. 🙂
    Avec des potes on envisage le même genre d’article sur le thème du vol en grande surface (vital dans mon cas pour « survivre »), et nécessité pour beaucoup…
    « Le Corre », JE SUIS UN TRAVAILLEUR QUI C’EST LEVÉ TÔT PENDANT DES DÉCENNIES!!!!

    Ah oui, je ne paye plus les transports en commun depuis belle lurette aussi… bus, métro, train…

  4. Merci beaucoup pour ces commentaires qui me touchent beaucoup =)
    Je n’ai pas voulu réagir à « Le Corre », ça n’en valait pas la peine.

    Pour le vol de grande surface, j’y ai eu recours aussi. C’est fini maintenant mais c’est vrai que ça choque d’en arriver là. Moi je demande qu’à vivre dignement…

  5. Pingback: Le fléau de la dépolitisation locale | Emancipation Urbaine

  6. Pingback: Essonne : Quand des journalistes allemands s'intéressent aux fraudeurs du RER D

  7. Cher Romain, arrête de fumer tu auras les moyens de te payer des tickets de rer…

    et ainsi tu ne feras pas peser sur des travailleurs souvent peu aisés qui eux payent, le coût de ta fraude. Car ce n’est pas les riches méchants capitalistes les victimes de ta fraude, ce sont toutes ces « petites gens », qui prennent chaque matin les transports en commun. Les 400 millions d’euros que coûte la fraude chaque année dans les rer et métro…

    Donc arrête de fumer, de boire tient aussi et surtout grandit!!

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