Un matin d’hiver… la prison masculine

C’est l’hiver, on le reconnaît aux premières lueurs pâles du matin. Un gris fondu sur ciel nous protège des rayons du soleil, comme une immense couverture. La lumière se déverse progressivement dans la pièce, minutes après minutes. Des silhouettes se dessinent, des ombres apparaissent. Les monstres d’antan, stimulant comme un tisonnier l’imaginationh2 craintive de nombreux enfants. Camille s’en souvient comme si c’était hier. Ses yeux sont grands ouverts, comme quand elle attendait, impatiente et pleine d’énergie, que ses parents sonnent l’heure du réveil.

Aujourd’hui personne ne vient, personne ne peut. À mesure que le jour éclaire le béton et dessine les longs traits d’acier sur le mur épuré en face de la fenêtre, Camille pense.

Une autre prison

Elle pense à son enfance innocente qu’elle aimerait revivre avec ses yeux d’adulte. Se laisser porter tous les jours, vivre au rythme des cour de récréation, des cris, des rires, des larmes qui s’enchaînent à chaque épisode. Des amours de 15 minutes qui sont oubliées l’instant d’après, des meilleur-e-s ennemi-e-s contre qui on complote comme si un royaume était en jeu.

Elle pense à son destin de jeune femme. À la pression de sa famille, de ses amies, à ses jeunes hommes rencontrés pour des périodes plus ou moins courtes, toujours trop longues. Camille y pense avec rage et amertume. Sa raison lui chuchote qu’eux n’y sont pour rien pourtant la haine écrase tout sur son passage. Elle la porte dans ses tripes comme un cancer qui ronge tout et grandit chaque jour.

Sa pire prison n’est pas faite de barreaux de fer. C’est celle qu’elle a subie des années durant. Le malaise, d’abord, un sentiment que quelque-chose ne va pas. L’absence d’envie, de plaisir mais l’obligation de recommencer encore et encore. Puis c’est le dégoût de cette chose qui pénètre en elle, comme un poignard qui lui transperce chaque fois les boyaux. Tout lui paraît si brutal, si abject, si douloureux. Elle veut crier à la face de l’homme au-dessus d’elle : « tortionnaire ! » mais à quoi bon ? Il s’en fout. Dans le cas contraire il aurait déjà compris. Sa prison c’est celle de ces mains fermes qui la tiennent immobile pour mieux servir d’objet, celle de cette société qui lui explique tous les jours que c’est sa place.

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S’évader

Pas une seconde elle ne regrette son évasion, quel qu’en fût le coût. Elle eu l’impression de recommencer à vivre, de découvrir chacun de ses sens sous un jour nouveau. D’être heureuse. Cette évasion c’était Amanda. Une peau d’ébène, douce, lisse, un regard fort toujours porté au loin et l’habit faisait bien le moine.

L’attirance avait été irrémédiable, violente comme un coup sec sur la nuque. Une fusion instantanée qui frappait le champ du possible de Camille. L’interdit, formulé ou non, était balayé par un puissant souffle, invincible, immortel, comme elle se sentait à ses côtés. Il y en eu une puis d’autres pour des périodes plus ou moins longues, toujours trop courtes. Elle découvrit sa capacité à aimer, à avoir de plaisir à se sentir égale, fière, forte, puissante. Femme.

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Un jour

Clandestine, elle l’était toujours, c’était comme ça. Mais sa liberté la rendait lucide. Un jour elle serait découverte. Ce jour-là les hommes se vengeraient. Ils se vengeraient de son affront, d’avoir cru bon d’échapper à leur domination. Ils se vengeraient de son ambition d’avoir voulu être une humaine à part entière. Ils se vengeraient car ils ont peur de la société qui dit aux femmes qu’elles n’ont pas besoin d’eux. Ils ont peur que se révèle enfin la mascarade de leur piédestal, le château de carte de leurs foutus privilèges.

Elle ne s’est pas trompée. Frappée, torturée, enfermée ça elle le savait. Excisée, humiliée, violée comme d’autres filles de son pays et dans le monde entier. Camille est debout à présent, elle regarde les gouttes qui transpercent la brume matinale. Elle pense à ses jeux d’enfant, seul remède contre la démence. Elle s’évade à nouveau, à sa manière, en espérant que cet épisode clôturera l’histoire le plus vite possible.

Romain JAMMES

Aujourd’hui dans de très nombreux pays le fait d’être lesbienne est encore condamné de châtiments allant des flagellations à la peine de mort. En France, si nous n’en sommes plus là, les agressions verbales, physiques et sexuelles sont nombreuses à l’égard des lesbiennes. Les viols punitifs ne sont pas plus un fantasme que la discrimination quotidienne qui s’impose comme une vendetta à l’affront de ces femmes face à la domination masculine.

Le lesbianisme est nié par la société et les médias, occulté par la culture dominante et refoulé par les représentations dominantes de la sexualité.

2 réflexions sur “Un matin d’hiver… la prison masculine

  1. L’article m’a fait pensé à une chose…
    Les lesbiennes ne sont-elles pas les perdantes de l’homosexualité?
    Bon, nous avons nos propres problèmes (« T’as pas remarqué que ça ressemblé à une bite? Dis-donc, ça devrait être ta spécialité, non? ») et des problèmes en commun (Pourquoi donc faudrait-il que chaque couple soit composé d’une « femme » et d’un « homme »?), mais nous ne sommes pas pour autant dégradé à des opportunités pour un plan à 3…
    Je ne veux pas prétendre que ma petite vie soit bien plus simple, mais mon cas me semble pour le moment plus désirable.
    Enfin, voilà mon petit coup de gueule. Je m’échauffe pour vendredi.

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