Le bruit des bottes

Le ciel est gris à Toulouse. Un vent rafraichi par l’arrivée de l’automne soulève les feuilles qui commencent à jaunir. La redif’ d’un printemps sacrifié aux pluies abondantes fait craindre un hivers rude. L’automne l’est assez comme ça. Dans les consciences il prend racine comme un Banyan, à ciel ouvert. Sans effort, il plonge ses longs membres dans le sol trempé par l’apathie politique, le refrain monocorde de la survie quotidienne. La berceuse des consciences qui transforme la matière grise en une épaisse flaque de boue mêlant consommation hystérique et nombrilisme patenté.

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Aujourd’hui le bruit des bottes ne se dissimule plus derrière le silence des pantoufles. Il a appris à se faire entendre comme un bruit de fond. Le bruit de l’autoroute qui ne cesse jamais mais qu’on n’entend plus jusqu’à ce qu’on redécouvre le silence, un jour. Il nous manquait. Cette année l’automne n’a pas attendu la fin des beaux jours… Comme le silence perdu, peut-être disparaîtront-ils progressivement.

L’été grenoblois

Bon c’est vache pour la charmante ville de Grenoble. Mais cet été avait un air de discours sarkozyste sur la sécurité. Un discours qui est lui même une pièce rapportée de l’extrême droite et de son obsession calculée pour la sécurité. On n’en a jamais autant parlé qu’alors, il n’y a d’ailleurs jamais eu autant de lois fondatrices dans ce domaine que pendant la décennie Sarkozy. Le tout articulé de manipulation du chiffre pour avoir un faux bilan.

Le changement n’a pas créé l’onde de choc promise, ni sur l’économie ni dans ce fantasme sécuritaire que Valls a repris tel quel. Stigmatisation des Roms, des musulmansDP4, absurde politique du chiffre, coups de force et de com’ dans des quartiers populaires, menaces viriles, promesses fermes et musclées. On croirait que ministre de l’intérieur, c’est poser ses couilles sur la table, puis discuter. La recette est la même et crée les mêmes résultats : de la tension. Car si des délinquants sont arrêtés, des bandes démantelées, des armes retrouvées, le mal secondaire que génère cette crise sociale est bien plus important dans ces quartiers comme dans les consciences collectives. La police qui connaissait le terrain a laissé place à des camions de la BAC qui arrête au faciès et demande son chemin.

La figure de Mohamed Merah est utilisée comme épouvantail, l’Islam et sa compatibilité avec la démocratie aussi, l’expression d’ « ennemi de l’intérieur » est remise au goût du jour. Le tout avec un aplomb qui fait passer la mère Le Pen pour une modérée. Sans surprise, le Front National récolte le fruit de l’essaimage de ses idées : il devient crédible, audible, et finalement presque normal, tenant un discours tout aussi odieux que de nombreux médias et oligarques de toutes sortes.

De faits divers en faits divers…

Seulement voilà, de « fait divers » en « faits divers » épinglés et manipulés par la droite, son copain extrême, son autre copain complexé (à peine) au gouvernement, et son dernier copain dans les rédactions, la violence et l’émotion font un ras de marrée sur l’opinion. Elle emporte tout sur son passage, la solidarité qui construit notre société, la tolérance qui en fait un lieu d’accueil et de partage, l’horizon qui cherche le bonheur collectif comme un été sans fin.

L’émotion brutalise les principes et s’engouffre dans une culture de stigmatisation construite depuis des années. Elle se gorge de rancœur, comme si tout était le résultat d’une même volonté. Elle veut une justice immédiate, punitive, voire martiale à l’image de ces soutiens au bijoutier qui a tué le voleur de son commerce. Le bruit des bottes c’est celui qui détourne les êtres humains du collectif. Il leur dit de se faire justice eux même, de ne plus croire que la société peut s’en charger. Mais seul, on peut frapper son voisin, son semblable. Pas son patron.

Au grand jourDP1

Dans ce contexte, comment s’étonner que les loups sortent du bois. Les fascistes s’assument et gagnent en assurance. Ils manifestent, ils agressent, ils tuent. Ils s’en prennent impunément et au grand jour à des militantes comme Sophia Hocini et Julie Del Papa qui ont la force de se battre contre le FN. Les menaces de mort ou de viol à leur égard résonnent dans une caisse vide. L’Etat incapable ou complice regarde le spectacle affligeant de cette montée en puissance.

Ces mots de Françoise Giroud m’ont toujours marqué.

DP« Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez on dit : c’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser »

Je ne sais pas s’il est trop tard ou si simplement le fascisme montre le bout de son nez. Une chose est certaine, pendant que se creusent les inégalités, que la puissance publique fait la sourde oreille devant la misère, le bruit des bottes devient assourdissant. Le gouvernement pourra avoir tous les discours moralisateurs, tant qu’il entretiendra cette misère, il entretiendra le foyer de haine qui s’y accroche.

Romain JAMMES

9 réflexions sur “Le bruit des bottes

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  2. Juste pour dire, outre mon soutien à ces deux militantes, ce que répétait inlassablement le père Bourdieu, à savoir que « le fait divers fait diversion ». et que la diversion ici, c’est le fait de refuser d’avoir une vue d’ensemble. Alors oui, le bruit des bottes est clairement audible. Encouragé par les partis de droite traditionnelle et une certaine gauche sécuritariste. A tel point que l’on n’a plus besoin d’entendre le FN : PS et UMP mènent campagne pour le mauvais front (entre les roms, la stigmatisation des musulmans, les chiffres de reconduite à la frontière, les politiques de « désaffiliation », et l’aveu d’incompétence…).

    Autre chose, plus importante encore, c’est le comportement de la police. Quand une de ces jeunes femmes va au commissariat pour porter plainte et qu’on lui refuse cette possibilité car, en tant que militante d’un parti de gauche, c’est normal qu’elle aie à faire face à ce genre de comportements, là il y a un sérieux glissement. Normalement, c’est 5 ans de tôle et 45.000€ d’amende (rien que pour les menaces de mort, sans prendre en compte les circonstances aggravantes du racisme/sexisme). ça n’est pas rien (proportionnalité des peines, tout ça). Qu’on refuse de reconnaître le préjudice subi au nom d’un engagement militant, c’est ça qui me fait le plus flipper.
    Tant qu’on y est, pourquoi ne pas juger comme un non-lieu le crime de Clément Méric ? Lui aussi était de gauche, il aurait dû s’y attendre, il aurait dû savoir qu’il fallait faire avec, non ? Ils vont réagir comment, les fafounets, quand ils apprendront que tous leurs délits et leurs crimes peuvent rester impunis, à votre avis ?

    • Salut !

      En effet je ne savais pas que la plainte avait été refusée ! Comme si être militant c’était renoncer à ses droits… On croit rêver !

      • Extrait d’un article de l’Huma :
        « Julie Del Papa a essayé de porter plainte. « Mais la police n’a pas voulu, ils m’ont fait déposer une main courante. Ils ont minimisé l’affaire, sous prétexte que ça se passe sur Internet, précise-t-elle. Si ça continue, ils pourront alors enregistrer ma plainte. » En attendant, le Parti de gauche va déposer une requête auprès du procureur de la République. Contacté par téléphone, un avocat spécialiste du droit de la presse rappelle qu’« il n’y a aucune impunité sur Twitter, même si c’est parfois plus compliqué car les intervenants se cachent derrière des pseudos ». Mais, poursuit-il, les tweets sont soumis « aux mêmes textes (de loi) que les menaces, les appels au meurtre, la diffamation. Ce sont les mêmes infractions ». »
        Les militants sont des empêcheurs de gouverner en rond, l’état, et surtout le ministère de l’Intérieur, ne va quand même pas les soutenir… Quand les flics nous encadrent pendant les manifs, ce n’est pas pour nous protéger, mais pour protéger le reste de la ville de nos débordements, n’est-ce pas?

  3. Je ne sais pas si ça a à voir avec son militantisme – du moins ce n’est pas évoqué dans l’article de L’Huma. L’explication est beaucoup plus simple à mon avis : vous avez déjà essayé de porter plainte pour viol ? Alors pour menaces de viol, j’imagine pas le parcours de la combattante…

  4. La Grèce rend hommage à Pavlos Fyssas.

    Au parlement d’Athènes les députés ont voulu respecter une minute de silence.
    Au moment de l’hommage,la gauche a exigé la sortie des députés d’Aube dorée s’attirant les foudres de l’un deux.

    vidéo;
    http://fr.euronews.com/2013/09/19/la-grece-rend-hommage-au-rappeur-antifasciste-tue-par-neonazi/

    nota,depuis juin 2012,le parti néonazi compte 12 députés.
    En trois ans ,le parti est passé de 0,29% à 7%.

  5. babaorum : Non, dans l’article qui n’est qu’un entretien avec Edelman, ils citent juste son livre qui venait de sortir. Sur le site « Automates Itelligents » (voir en haut) tu trouveras peut-être ?

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